Dans son article « ’General Toufik : ‘God of Algeria’ », l’anthropologue britannique, Jeremy Keenan, spécialiste reconnu de la zone sahélienne, soutient que la guerre entre le général Médiene et le clan Bouteflika a commencé dès l’élection de Bouteflika pour un troisième mandat en avril 2009, élection dont les conséquences « n’ont pas été celles que Mediène avait prévues » puisque, « à peine Bouteflika a-t-il été installé dans le fauteuil de son troisième mandat que son « clan », conscient du mauvais état de santé du Président, a commencé à planifier sérieusement sa succession qui devait être assurée par son frère cadet, Said Bouteflika. »
La perspective d’une telle succession dynastique n’était pas exactement ce que le chef des renseignements et de la sécurité avait en tête lorsqu’il avait donné son feu vert au troisième mandat de Bouteflika. Jeremy Keenan insiste sur le fait que Mediène était conscient du risque que Bouteflika essaye de se débarrasser de lui au cours de son troisième mandat comme il l’avait fait avec Lamari au début de son deuxième mandat et observait avec inquiétude l’avancée de Said en train de se donner « une base de pouvoir politique » et rassemblant « des soutiens parmi l’élite économique du pays » nonobstant « le nouveau parti politique qui allait être créé pour lui. »
Mais alors, en quoi une telle succession dynastique gênerait-elle le système-DRS ? En quoi la nouvelle « base politique » serait-elle compromettante pour le DRS ? Keenan confirme, avec son regard extérieur, la nature du vrai problème de pouvoir entre le DRS et le clan Bouteflika, une thèse qui a été développée sur ce site (06 Juin, 2009 ), il y a deux ans et qui se résume en un point capital : la « nouvelle base politique » de Saïd Bouteflika exclut les partis-Etat (RND et FLN) et intègre les islamistes.
Autrement dit, elle exclut les bras politiques du système tel qu’il a vécu jusque-là, et les remplace, en partie, par les ennemis déclarés de Toufik. Pour comprendre cela, il faut un retour sur la stratégie du clan Bouteflika.
« Nouvelle légitimité »
Le calendrier était tout tracé pour Saïd Bouteflika : créer le nouveau parti avant les législatives de 2012 ! Dans la stratégie de Said Bouteflika les législatives de 2012 marqueront la mort du FLN et du RND, remplacés par le nouveau parti de Said Bouteflika Rassemblement pour la Concorde Nationale, qui deviendrait le nouveau parti-Etat, « reposant sur la société civile ». Les législatives de 2012 seront en même temps la date de (re) naissance du futur parti islamiste qui remplacera le FIS et qui sera l’autre pendant de la coalition.
La société civile d’abord.
L’idée de s’appuyer sur la société civile date de cinq ans et sert de ligne directrice à tous les « héritiers », heureux légataires de « tawrîth al sulta », l’héritage du pouvoir : ils veulent sauver le système de papa en lui donnant une nouvelle « légitimité » ! Ils ont compris que le monde a changé et que les fausses républiques arabes, les joumloukias archaïques et sclérosée, n’ont plus d’avenir : les sociétés civiles s’organisent et se renforcent alors que le discours et les anciennes structures d’encadrement des joumloukia sombrent dans le ridicule et l’impuissance. Sans doute, cette démarche bénéficie-t-elle de l’aval américain et européen ! Le chef de file de cette école semble être Seif El Islam Kadhafi, le fils de son père, qui fut le premier à déclarer vouloir « se consacrer désormais au développement de la société civile et de l’économie en Libye. » , Seif El Islam Kadhafi s’est « retiré » de la vie politique pour revenir avec une "nouvelle légitimité". Il veut toujours accéder au pouvoir, mais dans une « Lybie démocratique », adaptée à son époque, et avec une nouvelle « légitimité », sans rien devoir au passé ! Il sera chef « légitime » d’une Libye rénovée et non pas l’héritier d’un père putschiste ! C’est pourquoi il s’appuiera sur la "société civile" ! Peu d’entre nous ont prêté attention à la récente visite à Alger, de Seif El Islam Kadhafi. Dommage ! On se serait bien instruit à la liste des contacts secrets qu’a eus le rejeton promis à la succession en Libye. De quoi a-t-on parlé ? Mais du pouvoir, pardi ! Du prochain pouvoir, pas celui de papa, non, l’autre, celui qui va s’installer, au Maghreb, sur les décombres de l’ancien et dont il va être la continuité. Ses têtes nouvelles ? Seif El Islam Kadhafi, Gamal Moubarak, Said Bouteflika, congénères de Mohamed VI ! Les nouveaux leaders de la « société civile » ! Bien entendu, tout cela ne sera que duperie. Dans l’esprit des nouveaux maîtres, il s’agit de se servir de la société civile, pas de la libérer. Les rejetons qui vont s’emparer du pouvoir dans les pays arabes, ne changeront rien dans le fond. Ils ne reconnaîtront pas les pouvoirs sociaux, les syndicats, les entrepreneurs, les associations, etc. Ils n’encourageront pas les libertés pourtant garanties par la Constitution et n’iront pas jusqu’à la séparation des pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Demain comme hier, il n’y a aucun Etat arabe qu’on pourrait qualifier d’Etat de droit. Dans tous les Etats arabes, c’est le pouvoir exécutif qui va continuer à primer. En Algérie, d’ici 2014, va se déployer un plan de « racolage » de la société civile, dont la pseudo-ouverture de l’ENTV sous l’impulsion de Nacer Mehal, n’est qu’un premier aperçu. D’autres parties d’esbroufes vont suivre. Mais l’essentiel, n’est-ce pas, c’est de se donner, à bon marché, une base politique. Différente de l’ancienne. Said Bouteflika ne va donc pas s’appuyer sur les anciennes structures discréditées, le FLN ou le RND, mais sur les forces qui, pense-t-il, vont donner au système une nouvelle "légitimité" : une coalition impliquant la société "civile" et les islamistes ! Les islamistes… Alors, sur conseil d’Abdelaziz, Said Bouteflika va associer le islamistes à la « construction d’une "société civile forte" capable de participer à la prise de décision et à même de constituer une force de dissuasion à tout dérapage au sommet de l’Etat », une espèce de « contrat social » qui « organisera la vie de tous les citoyens » Le fondement de la nouvelle « légitimité » du système reposerait ainsi sur la "rénovation" et la paix. La "rénovation" par une nouvelle classe politique qui remplacerait les anciennes structures discréditées et sur lesquelles il n’a pas de prise ; la paix par une concession politique majeure aux islamistes radicaux : le retour sur la scène politique ! Bouteflika veut la « solution finale », comme le disent les chefs du FIS, le retour à 1992. L’unique moyen, selon lui, pour garantir la paix et assurer à son frère Saïd un règne dans la tranquillité. Selon le plan défini par le grand frère, Said Bouteflika doit apparaître comme un « homme nouveau », chef de file de la « société civile », délié des contentieux de l’ancien système, et ne doit pas traîner de casseroles de ce même ancien système. Ce serait la mort de l’Etat-DRS. D’où la colère de Toufik.
M.B