Les chrétiens sont désormais désignés comme une «menace à la cohésion spirituelle nationale». Des imams veulent résister aux «nouveaux croisés»...
N'ayez pas peur! » D'une voix nouée par l'inquiétude, Hocine égrène le sermon comme un discours poème d'amour. Depuis quelques mois, cet ingénieur agronome de 34 ans fait fonction de pasteur à l'église des Ouadhias, dans les monts de Kabylie, et dirige la messe tous les vendredis matin, jour du seigneur commun avec les musulmans ». Son prédécesseur, Kader, un autre enfant du cru, est parti prêcher à Constantine, une ville de l'est algérien réputée pour son conservatisme arabo-islamique.
Dans une ambiance de kermesse, les fidèles, hommes, femme et enfants venus des villages voisins, chantent le Christ en berbère. « Alléluia, Aïsa Ihemel-iyi (Jésus nous aime)». Au début des années 1980, ces chrétiens fraîchement convertis, étaient à peine une vingtaine. Pour prier, ils se réunissaient discrètement dans un petit local. Puis, en 1984, ils se sont constitués en association, agréée par l'administration. Une ancienne maternité, léguée par les soeurs blanches, devient leur lieu de culte. Aujourd'hui, la communauté, forte de quelques centaines de fidèles, est reconnue par l'Eglise protestante d'Alger. La population, plus sensible à «l'Islam tolérant et tranquille des ancêtres» qu'à l'extrémisme sanguinaire des intégristes, les appelle affectueusement « Arraw n Sidna Aïssa (les enfants de Jésus)».
Dans un pays otage des traditions, et où l'Islam est officiellement « religion d'Etat », la rencontre avec Jésus relève du miracle. Pour Hocine, converti en 1996, la transition s'est faite en douceur. Car, dans la famille, on redoutait plutôt le fanatisme et les sectes. « J'ai toujours témoigné de ma foi dans l'amour, explique-t-il, car je suis devenu chrétien par conviction et non par rejet de l'Islam. J'ai gardé les mêmes amis, mais j'évite les discussions trop passionnées ».
En régions arabophones sous influence intégriste, cette surprenante coexistence entre la Croix et le Croissant est une hérésie. Durant les années de terreur islamiste, les chrétiens de Kabylie ont continué à témoigner de leur foi avec courage. Sans être inquiétés, ni par les GIA, ni par les autorités. Depuis la restauration de la paix civile, ils sont pointés du doigt comme une « menace spirituelle à la cohésion nationale ». Car, disent les théologiens musulmans, « l'apostasie est un crime passible de la peine de mort ». Pour échapper à cette Fatwa, les chrétiens qui vivent en dehors de cette région singulière et frondeuse sont contraints de raser les murs. Signe de ce climat d'intolérance qui vire à l'inquisition, les islamo-conservateurs ont lancé, l'été dernier, une campagne médiatique contre « l'évangélisation des Kabyles ». Dans les mosquées pourtant réputées « modérées », des imams sonnent le tocsin et appellent la population à « «résister à cette nouvelle croisade ».
Prélude aux persécutions?
Lors d'un colloque à l'université islamique de Constantine, un théologien dénonce le «
laxisme des autorités face aux 15 églises, qui ont déjà converti 30,58pc de la population kabyle! » Des chiffres exagérés pour les besoins de la « cause »; car la communauté ne dépasse pas le millier de fidèles. Le Haut conseil islamique, gardien de l'orthodoxie officielle, demande au gouvernement « de prendre les mesures qui s'imposent pour mettre fin aux dangers de l'évangélisation, qui agresse l'Islam dans sa propre maison ». A l'Assemblée nationale, cette tempête est relayée par les députés islamistes, qui interpellent le ministre des Affaires religieuses. Ce dernier rappelle « le principe constitutionnel qui garantit la liberté de conscience », mais accuse « les partis laïques de la région d'encourager cette opération ».
Convaincu que « Dieu a choisi cette terre pour le retour de Jésus », Hocine affiche une sérénité de façade; mais il reste prudent: « pour l'instant, nous avons la liberté de culte, mais cette levée de boucliers risque d'être le prélude à des persécutions ». Dans ce climat d'hystérie, Mgr Teissier, archevêque catholique d'Alger, sort de sa réserve et tente de faire entendre la voix de la raison: « nous ne voulons pas que se développe un christianisme opposé à l'Islam en Algérie. Nous voulons construire la fraternité, mais dans le respect de l'autre. Ceux qui utilisent le discours extrémiste de part et d'autre n'ont pas d'avenir ».
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