En 48 ans d’existence, l’Algérie a causé beaucoup plus de dégâts à l’identité kabyle, Chawis… que les siècles de colonisation Française et Turque réunis.
Nous savons par différents témoignages que l’islam constitua un problème pour les Français qui le considèrent non comme une religion, mais un système idéologique belliciste. Tocqueville déclara que la lecture du coran qu’il avait étudié l’avait convaincu qu’il n’était guère de religion plus nuisible à l’humanité que celle de Mahomet. Cependant, le problème majeur à l’occupation de Tamazgha centrale est la Kabylie et l’Aurès. Les deux Républiques Mazighes viscéralement attachées à leurs indépendances représentaient le plus grand danger à surmonter et résoudre par tous les moyens, car l’avenir de la France à Tamazgha en dépendait. Ce fut chose faite en 1857 pour la Kabylie. Et une fois l’entreprise réalisée (colonisation) une surveillance accrue fut exercée en permanence sur ses populations, tout particulièrement sur le pays Kabyle.
L’impératif sécuritaire amena les Français à s’intéresser au rôle des chefs religieux à cause de leur grande influence sur la population. L’intérêt des Français pour ces derniers ne procéda que du désir de se garantir leur concours afin de contrôle le pays et d’en maintenir la stabilité politique et la sécurité des Européens.
L’exigence première des religieux est la création, et multiplication d’écoles coraniques. Certes la France se méfiait terriblement du fanatisme religieux inné des Arabes cependant, en accédant à leur revendication principale elle escomptait les circonscrire et les contrôler plus aisément. En effet, la France répondit favorablement on mettant en place des madrasas pour former le personnel du culte et celui de l’administration judiciaire musulmane. Aujourd’hui nous pouvons affirmer que ces “écoles” furent le principal outil d’arabisation effectif des populations Mazighes citadines et le socle d’une identité exclusivement arabe de l’Algérie indépendante. À cette conclusion s’adjoint une question, le « mythe kabyle » souligné et mis en évidence avec un luxe ostentatoire par les arabistes et arabophiles occidentaux, a-t-il eu son pendant arabe ? Un « mythe arabe » a-t-il travaillé obscurément et en profondeur la société, avec la bénédiction de la France jacobine et en prise avec ses propres problèmes régionaux.
L’invention du terme « mythe kabyle » revient à l’historien français, Charles-Robert Ageron [1]. Camille
Lacoste-Dujardin [2] spécialiste de la littérature orale kabyle, préfère quant à lui parler d’imagerie que du mythe. L’historien est le premier à avoir examiné les attitudes de nombreux érudits français à l’endroit des Kabyles. Ceux-ci ont utilisé les grilles de lecture dominantes au XIXe siècle et croyaient voir dans la société des Kabyles laïque et égalitaire le bon sauvage qui répondra favorablement à l’appel de leur “idéal civilisationnel”. Les Kabyles apparaissaient les moins éloignés du type européen, une fusion avec est possible. À sa question : la France a-t-elle eu une politique kabyle ? Nous reproduirons ici l’analyse de Fanny Colonna on peut trouver un indice du fait que la France n’a pas eu de politique Mazighe en Algérie, sinon fugitivement.[3] L’indice en question se réfère au “dahir berbère” au Maroc, son adoption suscita une réaction virulente des “nationaliste” pour plus d’information voir ce lien.
Indéniablement, on rencontre dans les écrits de nombreux intellectuels français qui ont étudié les peuples de la nouvelle colonie Française, un a priori favorable aux Kabyles considéraient plus civilisés et moralement au-dessus des Arabes. Il est même antérieur à la colonisation de la République kabyle. Voir l’opposition de la commission scientifique à toute atteinte à l’intégrité territoriale de la Nation Kabyle, ses citoyens crédités de toutes les qualités déniées aux Arabes, les Kabyles ont ainsi pu faire l’objet d’une politique d’assimilation et de francisation, notamment par l’école [4]. Les spécialistes contemporains voient en ce raisonnement du « bon » kabyle et du « mauvais » arabe un stratagème rentrant dans le cadre du concept politique et idéologique machiavélique : diviser pour mieux régner. Effectivement, nous n’avons nulle trace d’une législation favorable aux Kabyles promulguée par la France.
La République kabyle à essuyer en 1857 un bombardement massif et en 1871 une répression sans commune mesure incendie des cités et villages etc., la guerre de 1954 acheva sa ruine. Rappelant pour une meilleure compréhension que le mythe avait aussi ses apostats et ses détracteurs. Ces derniers étaient-ils les plus honnêtes ? Je ne saurais le dire (pour l’instant). Cependant, on ne peut s’épargner une question qui semblerait extrémiste. En effet le “raisonnement” est-il sans fondement, sans attache avec la réalité concrète ? Ceux qui ont lu l’œuvre d’Ibn Khaldoun savent pertinemment qu’il n’était ni récent ni aussi systématique et catégorique que les observations de l’illustre auteur : « tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné. […] S’ils ont besoin de pierres pour servir d’appuis à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de se les procurer ; s’il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des soutiens de tente, ils détruisent les toits des maisons pour en avoir […] Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné. […] Sous leur domination la ruine envahit tout ». Vous trouverez ici ses réflexions sur les Mazighes [5]. Mythes ou réalités émises à partir d’observations expérimentées ?
La seule politique quantifiable de la France à l’endroit des Kabyles, beaucoup moins dans l’Aurès et à peine au Mzab (les autres régions Mazighophones furent toutes écartées), est la scolarisation sous la direction d’Émile Masqueray, mandaté par Jules Ferry - le père de l’école républicaine était favorable à la colonisation et a tant fait pour convaincre les récalcitrants - engagé personnellement dans cette politique qui rencontra une farouche opposition du gouvernement d’Alger et de nombreuses voix se sont élevaient en Métropole pour le dénoncée. C’est cette même élite kabyle instruite dans l’école française, qui sera à l’origine de l’« étoile nord-africaine » la structuration du mouvement nationaliste et l’indépendance. C’est l’élite kabyle abhorrée par les polémistes professionnels déversant des fadaises et niaiserie sur les « traitres » à la nation qui au lendemain de l’indépendance, organisera et mettra sur pied une administration fiable. Drôle de « mythe kabyle » qui engendra l’ogre qui dévore ses enfants !
À notre connaissance le paquetage du soldat français débarquant sur les côtes de Tamazgha centrale comprenait un lexique de mots arabe et non kabyle, Chawis… C’est-à-dire qu’avant même la colonisation, la langue arabe fut instrumentalisée et introduite dans l’histoire de Tamazgha comme l’unique idiome « scientifique », langue prédominante à l’instar du français dans l’hexagone. Derrière ce postulat, apparait donc le « mythe arabe » jamais, si l’on ne s’abuse, abordé par les intellectuels français ou arabes férus du débat : il était une fois le « mythe kabyle » instrument mortel de dépersonnalisation du peuple algérien arabe et musulman.
Pourtant, ce fut les bureaux arabes qui furent créés en 1844 et non des bureaux kabyles, Chawis…. Dont l’une de leurs missions consistant à déposséder les Kabyles, Chawis… de leur patronyme (imposition des noms), toponymes par l’arabisation, Adrar est remplacé par Djebel, Aït par ben. Thadurth par Douar, etc., à très bien réussi. La connaissance de la langue arabe était obligatoire chez les officiers de la Direction des affaires arabe puis des bureaux arabes. Qui a délibérément arabisé les Mazighes ? A qui incombe la responsabilité ? La France Métropolitaine ? Ou le gouvernement colonial d’Alger ? Les deux ? La Question mériterait d’être débattue,(par les kabyles et entre les kabyles) car ce n’est pas aussi simple que le laisse entendre le sens du mot colonisation.
En 1871 les partisans de l’extension du régime civile à la Kabylie ont-ils expliqué, l’insurrection de la même année par « l’arabisation des Kabyles » accomplie par l’administration militaire. Par la suite, l’administration civile succédant à celle des militaires changea de noms aux bureaux arabes et deviennent ainsi les bureaux des affaires indigènes sans pour autant déviés de leur politique. L’important pour un mythe n’est pas qu’il soit historiquement inscrit dans la réalité, mais qu’il désigne une origine et fonde ainsi une société. Un mythe fonctionne avec une histoire, une langue et des pratiques qui assurent la transmission de la mémoire collective.
Tant de livres ont été publiés sur le « mythe kabyle », tant de « théories scientifiques » furent élaborées dans les laboratoires mystifiants, qui lorsqu’ils ne théorisent pas la responsabilité de l’Occident dans tous les malheurs des déplorables pays arabo-musulmans, s’appliquent à rechercher la solution finale à trouver le moyen pour démembrer le corps Mazighe. C’est dans cette fabrication immorale que nous avons trouvé l’autorisation morale pour proposer un condensé du « mythe arabe » énuméré de façon télégraphique : L’arabe, inspirateur d’une troisième religion monothéiste, était un ingénieux et redoutable cavalier qui déferla sur les peuples et les conquit grâce à son génie et fonda un empire considérable ( C’est un fait historique incontestable mais…) Il était infiniment supérieur par ses sciences, ses arts, sa littérature raffinée, etc., à l’élément Mazighe qui n’est qu’une survivance miraculeuse d’un passé archaïque. L’absence d’une langue écrite, d’une tradition littéraire d’œuvre artistique, de monuments de génie architecturale… ou quant ils existent, ils sont l’œuvre de tous les conquérants que ce peuple égaré pour toujours dans les labyrinthes de l’antiquité a eu à subir tout en long de son histoire. Sa passivité et son incapacité à émerger des pénombres de l’histoire et participer à la marche du monde, tout ceci et bien d’autres tares sont l’indice décisif de son « infériorité ».
C’est dans ce « mythe arabe » tu pour des raisons pratiques (interrogez l’année 1949, l’armée des frontières, le printemps noir…) que se puisera la politique infructueuse à tout point de vue, c’est du « mythe arabe » que s’inspira le système d’apartheid qui étrangle les mazighes d’Algérie et de Thiniri et se formalisa le « mythe d’une Afrique du Nord arabe et musulmane ». L’infraction fondamentale rapportée au procès verbal par les médiocrates au « mythe kabyle » dans le cadre de la « décolonisation de l’histoire » engagée par les négationnistes flnistes, arabistes et islamistes est décodée ici sans circonlocution : le « mythe kabyle » est responsable du réveil des consciences kabyle, Mazighe qui aboutira au printemps mazighe et à des revendications politiques plus élaborées.
Le désavantage que rencontrèrent les Kabyles, les Chawis… lors de l’occupation française était doubles, le premier bien qu’ils étaient incontestablement INDÉPENDANTS, leurs Républiques, car c’est sous ce régime qu’ils vivaient, étaient politiquement, militairement administrativement au stade embryonnaire et ne pouvaient donc faire face à un pays aussi bien hiérarchisé, organisé, industrialisé et puissant militairement, doté d’institutions spécialisées dans la gestion du pouvoir politique tel que la France. En second lieu, ils étaient précisément un obstacle aux intérêts de la France.
Il est bien connu chaque État, individu défend ses propres intérêts et ceux de la France malheureusement ne coïncidaient pas avec ceux des Mazighes.
Si la Kabylie avait été reconnue par la France, pas comme on l’aurait souhaité, toutefois l’a priori n’était pas une coquille vide. Il illustrait la différence entre deux sociétés, deux systèmes de pensée mis en lumière par Ibn Khaldoun. La scolarisation a eu un impact positif. Les militaires et l’administration civile se sont opposés au fameux « royaume arabe » de Napoléon III. Que serions-nous devenus si ce mégalomane avait réalisé son rêve de gloire ? Par contre, la Kabyle ne l’a pas été par l’Algérie indépendante pour laquelle ce même peuple a versé son sang. Et je crains fort qu’elle ne le soit jamais, pour preuve, la politique agressive, raciste d’arabisation forcée, dont l’objectif est le « bannissement » de la langue Mazighe se renforce par la présence de plus en plus massive des imams venus dieu sait d’où. Pour s’en prémunir contre les actions néfastes de l’État algérien, la Kabylie doit impérativement tourner le dos à l’école algérienne et financer la sienne pour y instruire ses enfants loin des idéaux religieux et la médiocrité.
Les Kabyles du pays ou de l’exile qui ont signalé le caractère Mazighe de l’Afrique du Nord, étaient accusés par l’Algérie de trahir la nation, l’islam, la langue arabe, les martyrs (ils adorent ce mot, je ne sais pas pourquoi) alors qu’ils y adhéraient majoritairement à l’unité de l’Algérie, qu’ils rêvaient plurielle et démocratiques. Les attaques du pouvoir fut d’abord une phase difficile où les Kabyles faillirent perdre foi en eux-mêmes, avoir honte de leur langue. Ensuite, un sursaut provoqua la renaissance de la conscience identitaire. La chance de la Kabylie, c’est que son mythe, risquant de succomber aux coups de boutoir de la conquête coloniale, lui ait été rapporté par l’adversaire. La croyance de l’autre en sa valeur a restitué à cette société la foi en elle-même.[6].
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